L’imagerie médicale, sans quoi les neurosciences ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, nous montre que lorsque nous apprenons c’est la partie antérieure de notre cerveau (le cortex préfrontal) qui est en activité. C’est là que se situe la mémoire de travail. Cette mémoire qui est utilisée lors des phases d’apprentissage qui nous permet de stocker des choses avant de les traiter, les mémoriser ou les oublier … Cette mémoire est très lente et c’est ce qui explique qu’il faut du temps pour comprendre et apprendre ! Et double peine pour nous lorsque nous apprenons quelque chose : elle nous fatigue énormément !
Ce que l’on constate lors de l’acquisition de compétences et lorsque l’on manipule avec aisance ces compétences, c’est à dire en un seul mot lorsque l’on devient expert, c’est que les régions actives de notre cerveau se déplacent. C’est la zone postérieure cette fois de notre cerveau qui se montre active en imagerie. Cette zone du cerveau est le siège d’un tout autre type de mémoire : la mémoire procédurale.
Cette mémoire procédurale est une mémoire inconsciente et libère ainsi la mémoire de travail qui elle est une mémoire consciente. Devenir expert c’est donc voir le coût de l’attention portée à une tâche diminuer. Tout cela explique le sentiment que l’on perçoit face à un expert de sa discipline pour qui tout semble facile, ne demander que peu d’attention et sans fatigue !
Comment faire alors pour améliorer sa mémorisation et passer plus rapidement à un “cerveau d’expert” ?
Les psychologues utilisent le concept de chunk pour expliquer comment fonctionne le cerveau des experts. Il s’agit de relier les informations entre elles pour former un cluster cohérent, c’est-à-dire des données et connaissances qui ont un lien entre elles. Chunk en anglais signifie “tronçon”. C’est assez explicite et signifie bien un groupe de données en bloc. Un premier exemple assez basique consiste à mémoriser un numéro de téléphone en notation française : 02.41.72.19.78 nécessite de mémoriser 5 nombres. Alors qu’avec une écriture 0.241.721.978 vous n’en mémorisez que 3 ! Le zéro initial n’est pas à mémoriser, il est déjà dans votre mémoire à long terme. Vous savez que tous les numéros de téléphone commencent par 0 ! Il ne vous reste plus qu’à mémoriser les 3 nombres suivants. Cela peut vous surprendre car les nombres sont plus grands mais ce sera tout de même plus simple.
C’est le psychologue Miller qui le premier à travailler sur cette notion dans les années 50. D’autres psychologues travaillent par la suite sur la mémoire de travail comme COWAN et GOBET dans les années 2000. Ils dégagent des concepts structurants cette notion de chunking indiquant que cette structure d’éléments doit être fortement liée par du sens et qu’a contrario les liens avec d’autres chunks doivent être faibles.
Les acronymes sont d’autres exemples de chunks ! HTML pour Hypertext Markup Langage, JS pour Java Script et ABS pour Anti Blocage System pour l’automobile. Mais ABS peut aussi vouloir dire Acrylonitrile Butadiène Styrène qui est un plastique solide très répandu. Mais ici peu ou pas de confusion, comme nous l’indique GOBET sur les liens entre chunks, nous sommes dans des domaines qui n’ont rien à voir.
Autre exemple volontairement plus complexe. Que vous connaissiez ou pas ce sujet vous comprendrez, je l’espère, la méthodologie des chunks. En physique des particules il existe 2 statistiques communément admises permettant de décrire le comportement des particules : la statistique de Fermi-Dirac et la statistique de Bose-Einstein. Qu’ont tout simplement fait les physiciens pour nommer ces 2 groupes de particules ? Ils les ont appelés les fermions et les bosons ! Donc si vous parlez des neutrinos ou des électrons qui sont 2 fermions vous en déduisez automatiquement qu’ils suivent la statistique de Fermi-Dirac et si vous connaissez cette statistique vous en déduisez leur comportement physique. Je vous invite à consulter sur internet les tableaux organisants les particules élémentaires en physique c’est une méthodologie de chunking assez parlante même pour des néophytes.
Améliorer votre mémorisation et apprentissage peut passer en partie par l’utilisation de ces chunks ! Mais améliorer la qualité de son travail d’enseignant et de formateur aussi ! La méconnaissance du fonctionnement de notre cerveau fait que bien souvent on surcharge l’apprenant et on le fatigue par sursollicitation de sa mémoire de travail. C’est totalement contre-productif ! Plutôt que de tomber dans le travers de l’expert qui peut parfois penser que tout est important, il est préférable de le guider vers l’élaboration de chunks par la recherche personnelle ou collective. Le travail du formateur comme celui de l’apprenant devrait toujours en partie être consacré à “comment je m’organise pour apprendre telle discipline”. Car pas de recette miracle qui marche à tous les coups ! Apprendre le développement web, le droit constitutionnel ou la physique quantique ne se feront pas de la même manière. A chaque discipline et à chaque personne des outils différents.
Il est donc bénéfique d’inviter l’apprenant à relier chaque nouvelle notion à un chunk existant plutôt que de lister de nouvelles notions indéfiniment. Le formateur structure ainsi son contenu pour une meilleure mémorisation. Mais cela ne suffit pas ! L’apprenant doit s’approprier ce contenu en le destructurant et en le structurant à sa manière de façon originale, créative, artistique … Faire des fiches de cours en recopiant le plan de cours de l’enseignant ne sert pas à grand-chose. Créer une fiche qui aborde le sujet sous un autre angle propre à chacun et qui respecte le fonctionnement cérébral de celui qui fait la fiche aura beaucoup plus de sens !